Ceux qui ont tué ne se confient guère à leurs juges, dont ce n'est pas le rôle de s'immiscer aussi loin dans les pensées d'autrui. Il est très rare que ceux-ci sachent comment un individu vit les jours et les heures qui précèdent son passage à l'acte.

Il y a très exactement un siècle, un juge d'instruction lyonnais, Cyr Alphonse Benoist, interrogea l'anarchiste italien Santo Caserio qui venait d'assassiner Sadi Carnot, président de la République (24 juin 1894). Leur dialogue fut exceptionnel. Le jeune homme de moins de vingt et un ans, qui parle de la guillotine sans rien faire pour tenter de l'éloigner, raconte son parcours intellectuel et son itinéraire géographique avec méticulosité, passion et parfois même avec humour en dépit des circonstances. Le magistrat, sans manifester de complaisance, fait l'effort d'écouter son interlocuteur, cherchant à le comprendre, à l'aider à se connaître. Des interrogatoires d'une instruction menée tambour battant (c'était alors l'usage) se dégage une émotion qui va bien au-delà de la curiosité ou de l'intérêt historique.

Présentant ce texte au terme d'une ample introduction situant l'affaire dans son contexte judiciaire mais aussi politique et social _ une République fragile soumise à la fois aux assauts des tenants de l'ordre ancien et aux attentats anarchistes _, Pierre Truche, en praticien, conclut le livre par une méditation sur les graves problèmes moraux et juridiques qui se posent, hier comme aujourd'hui, à l'accusation et au procureur dans un procès criminel.

Né à Lyon, longtemps magistrat dans cette ville, Pierre Truche est à l'heure actuelle procureur général près la Cour de cassation. Il a découvert dans les archives judiciaires de Lyon les procès-verbaux inédits des interrogatoires menés par le juge Benoist et en donne ici le texte intégral.